A R S E N & F A N F A N

Sans aucun des tics des spectacles censément drôles, Arsen et Fanfan est un pur moment de plaisir, d’absurde, de poésie, de philosophie où l’humour naît du comique de répétition, de petits gags infimes parfaitement maîtrisés et des innombrables décalages entre les thèmes abordés et la manière dont ils sont explorés. [...]
La force du spectacle est tout entière dans cette apparente contradiction : d’un côté des interrogations profondes, complexes, angoissantes parfois, et de l’autre, une manière de les amener et de les traiter qui suscite la réflexion par le rire et le côté absurde des situations dans lesquelles le duo nous entraîne. Et c’est loin d’être fini puisque, sans trop dévoiler la suite du spectacle, on peut révéler qu’il y sera question de notre rapport à l’univers, de la lumière des étoiles mortes, de notre propre finitude ou encore du mystère des trous noirs. Le tout à travers une partie de tennis reprenant tous les tics d’un Rafael Nadal, l’apparition de nouveaux personnages semblant se cloner les uns les autres, une promenade dans l’univers en expansion, une petite chorégraphie sautillante, une traduction en direct d’un langage venu d’ailleurs ou encore une réjouissante évocation des Polyphonies corses au bord d’un trou noir… [...]
C’est un univers étrange où deux jeunes gens discutent et rigolent tranquillement tandis que le public s’installe. Le vaste podium d’un blanc cotonneux est cerné, sur deux côtés, par des éléments géométriques de couleur orange et, au sol, par une sorte de tapis réfléchissant qui crée une impression de vertige, de flottement dans un univers infini.
Le plus étrange reste toutefois le fait que ces deux personnages sont chacun raccordés à une prise électrique. On oublie toutefois ce détail lorsqu’ils se mettent à établir le classement des meilleurs desserts ou pâtisseries : Tiramisu spéculoos, tarte au citron, etc. Si Fanfan semble sûre des quatre premiers, elle a bien du mal à se décider pour le cinquième. Ses hésitations et les interventions naïves de son complice, Arsen, suscitent déjà les rires du public. Jusqu’au moment où, s’avançant un peu trop, la jeune femme arrache sans le vouloir son câble électrique… Premier drame qui va susciter les réactions aussi hilarantes que désespérées de son comparse.
Des interrogations vertigineuses
Dès ces premières minutes, Arsen (Jules Churin) et Fanfan (Héloïse Jadoul) installent leur univers. Un monde absurde que le mot, le geste, l’espace, la lumière, le son, la danse, la magie nouvelle, les costumes et les innombrables références contribuent à créer. Un monde absurde qui ressemble terriblement au nôtre, dans toute sa complexité. Et cela ne fait que commencer. Le spectacle avance peu à peu, par petites séquences évoquant avec énormément d’humour la destinée humaine (comment se débrancher ensemble), les inégalités (oui, la taille du câble a de l’importance), les mystères de l’au-delà et de l’infini…
Sortant d’un côté du plateau dans leur tenue basique, ils réapparaissent de l’autre dans des costumes évoquant autant l’Égypte ancienne que la science-fiction, avec lesquels ils ont bien du mal à se déplacer. Et les voici qui se lancent dans une joute philosophique sur le passé et le futur. Arsen connaît tout du futur et rien ne peut le surprendre pas même les attaques façon kung-fu de sa partenaire. Celle-ci porte, de son côté, le poids du passé de toute l’humanité, ayant vu mais aussi vécu ce que chaque être humain a vécu depuis la nuit des temps. La discussion s’enflamme sur la destinée humaine, l’importance du souvenir, la possibilité de changer le futur et autres grandes questions philosophiques que le duo pimente de multiples petites touches humoristiques faites d’un regard, d’un geste, d’un mot inattendu… « Pourquoi l’inexistence n’aurait-elle pas autant de valeur que l’existence » finissent-ils par se demander, nous entraînant mine de rien dans des interrogations vertigineuses.
Rafael Nadal et les Polyphonies corses
La force du spectacle est tout entière dans cette apparente contradiction : d’un côté des interrogations profondes, complexes, angoissantes parfois, et de l’autre, une manière de les amener et de les traiter qui suscite la réflexion par le rire et le côté absurde des situations dans lesquelles le duo nous entraîne. Et c’est loin d’être fini puisque, sans trop dévoiler la suite du spectacle, on peut révéler qu’il y sera question de notre rapport à l’univers, de la lumière des étoiles mortes, de notre propre finitude ou encore du mystère des trous noirs. Le tout à travers une partie de tennis reprenant tous les tics d’un Rafael Nadal, l’apparition de nouveaux personnages semblant se cloner les uns les autres, une promenade dans l’univers en expansion, une petite chorégraphie sautillante, une traduction en direct d’un langage venu d’ailleurs ou encore une réjouissante évocation des Polyphonies corses au bord d’un trou noir…
Sans aucun des tics des spectacles censément drôles, Arsen et Fanfan est un pur moment de plaisir, d’absurde, de poésie, de philosophie où l’humour naît du comique de répétition, de petits gags infimes parfaitement maîtrisés et des innombrables décalages entre les thèmes abordés et la manière dont ils sont explorés.
Jean-Marie Wynants
S T A N L E Y : S M A L L C H O I C E I N R O T T E N A P P L E S

Prix Maeterlinck de la Critique 2022:
Meilleure création artistique et technique et nominé en meilleure interprétation (Clément Thirion)
Absurde et décalé, l’univers de Simon Thomas n’est plus à présenter. Après Char d’assaut, sa nouvelle création poursuit l’exploration caustique et inventive du sens et du non-sens de nos sociétés, en s’inspirant librement du jeu vidéo « The Stanley Parable », de Davey Wreden et William Pugh. Clément Thirion y incarne Stanley, employé de bureau pour le moins ordinaire, dont le travail consiste à presser des boutons toute la journée. Rien d’incroyable jusqu’à ce que cet environnement bureaucratique se mette à défier les lois de la physique, perturbant peu à peu l’ordinaire a priori si bien huilé de Stanley. Le résultat en est époustouflant : explorant les interstices et les brèches de la réalité, Simon Thomas et son équipe glissent vers l’inquiétante étrangeté, jusqu’à basculer carrément dans l’horreur ! Se revendiquant d’un savant mélange entre Magritte et Buster Keaton, La Horde Furtive coupe le souffle tant par la maîtrise du procédé narratif que par ses effets scéniques renversants. A.D.

Festival Impatience: [...] L’univers de la compagnie belge La Horde Furtive prend, elle, le parti de la ligne claire… Dans un décor reproduisant le jeu vidéo The Stanley Parable, inspiré en 2013 par la vie de bureau répétitive, un seul acteur (Clément Thirion, clown silencieux brillamment économe de ses effets) est aux manettes d’une machinerie infernale. L’aliénation au travail y transparaît sous le double filtre de Magritte et de Buster Keaton. Ce drôle de mélange, immédiatement hilarant, tient grâce à une écriture scénique au cordeau qui a valu à cette œuvre le prix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. On avait rarement autant ri en plus de dix ans d’Impatience…
Emmanuelle Bouchez

Dans Stanley, Simon Thomas transforme un jeu vidéo en un seul-en-scène virtuose et sans parole où brille Clément Thirion. Un jour sans fin au bureau, entre éclairs gores et humour absurde.
Estelle Spoto
"Une prestation 5 étoiles" - Double page ici

- «Stanley» à l’Atelier 210: Massacre à la déchiqueteuse
Imaginez la série « The Office », trempée dans du Beckett, frit à l’huile de Tati, saupoudrée d’une pincée de Hitchcock, avec quelques épices empruntées au film d’horreur. C’est la nouvelle pièce de Simon Thomas à l’Atelier 210 à Bruxelles puis sur Mars à Mons.
Du grand art !
Catherine Makereel
Soyez prévenus : après avoir vu Stanley : Small choice in rotten apples,
vous ne verrez plus votre bureau de la même façon.
La machine à café risque de vous donner des sueurs froides, vous hésiterez quelque peu
à vous approcher de la déchiqueteuse tandis que l’ascenseur vous filera des frissons.
Et on ne parle même pas de votre ordinateur ou de votre chaise à roulettes que vous soupçonnerez de
vous catapulter dans la Quatrième Dimension. Bref, votre rentabilité pourrait bien
en prendre un coup, mais qu’importe : le plaisir de découvrir la nouvelle pièce de
Simon Thomas vaut bien ce petit sacrifice !
Après son curieux Char d’Assaut, le jeune auteur et metteur en scène continue de
creuser un univers absurde, miroir du non-sens de nos existences. Cette fois, il nous
emmène sur les talons d’un employé de bureau qui va voir sa routine glisser dans de
surréalistes brèches. Inspirée du jeu vidéo The Stanley Parable , la pièce en
reproduit fidèlement le contexte : le joueur est Stanley, l’employé numéro 427 d’une
société qui l’emploie pour presser des boutons selon les indications qu’indique son
écran d’ordinateur. Le jeu commence quand Stanley ne reçoit plus aucun ordre sur
son prompteur. Sur scène, Clément Thirion incarne ce fonctionnaire obéissant qui
sort soudain des rails et découvre d’étonnantes fissures dans sa vie bien réglée.
Comme les pommes pourries du sous-titre (Small choice in rotten apples), Stanley
fait face à des choix très restreints parmi les options empoisonnées qui s’offrent à lui.
Tati, Hitchcock, Beckett
Sans trop dévoiler les nombreux coups de théâtre et autres rebondissements
improbables qui sèment son parcours, JE VOUS PASSE LES TROIS LIGNES DE SPOIL
QUI SE TROUVAIENT ICI, BLIBLOUBLI BLOU BLIBLOUBLI BLOUBLIBLOUBLI BLOUBLIBLOUBLI BLOU
BLIBLOUBLI BLOUBLIBLOUBLI BLOUBLIBLOUBLI BLOUBLIBLOUBLI BLOUBLIBLOUBLI BLOU.
Il y a du Tati dans les gesticulations, de l’Hitchcock dans les musiques angoissantes, du Beckett dans les
situations absurdes que l’on n’a pas peur d’étirer, en assumant totalement les longueurs.
Disons aussi qu’il y aura quelques moments gore, beaucoup de suspense, des
apparitions étranges, des courts-circuits inquiétants mais aussi beaucoup
d’humour et même une drôle de poésie. Comme dans un jeu vidéo, la mise en scène
opère de réguliers « reboot », ce qui permet à Stanley de se sortir de situations
inextricables et de revenir plusieurs fois à la vie, une vie en apparence tranquille et
ordonnée mais qui, chaque fois, dérape dans d’impossibles incidents.
Formidablement impassible dans le rôle de Stanley, Clément Thirion plonge le
public dans l’hilarité générale à force de couacs kafkaïens dont il se sauve avec un
flegme impérial. En butte avec une machine à café qui parle plus que lui ou avec un
call center désespérément inopérant, le comédien joue habilement d’un corps qui
porte en lui toutes les métaphores de la pièce puisqu’il trébuche sans cesse sur la
fatalité, erre dans un travail déshumanisant ou manque cruellement d’élan dans un
environnement débilitant. Comme nous tous, Stanley lutte pour donner un sens
aux pommes pourries qui chutent parfois dans le panier de nos vies.
C H A R D ' A S S A U T

Actoral: À priori, la trame de Char d'assaut, le dernier spectacle de l'artiste belge Simon Thomas, a de quoi rebuter les spectateur·trices non averti·es.
Effectivement, il est ici question de deux personnages, Tristan et Marceline, qui parcourent une petite scène sans décor, en parlant essentiellement de suicide ; certes.
Mais il faut passer outre.
D'abord, parce que Simon Thomas manie l'humour absurde avec virtuosité ; le jeune homme de 27 ans s'inscrit dans la lignée de Samuel Beckett. Ensuite, parce que se mise en scène épurée est fortement influencée par l'esthétique de la bande-dessinée - et tout particulièrement du travail de l'Islandais Hugleikur Dagsson : nous avons donc affaire à un artiste hypersensible au détail, au rythme et au comique de situation. Aussi, parce que Simon Thomas a choisi de se confronter aux grandes questions existentielles sans jamais se prendre au sérieux. Pourquoi rester en vie ? Pourquoi vaut-il mieux être à deux que tout·e seul·e ? Et enfin parce qu'à l'issue du spectacle - attention révélation - Tristan et Marceline ne se suicident pas, ce qui est une très bonne nouvelle.
I. H.-L.

Char d'assaut: Article sur le Festival Émulation 2019.
Coup de cœur pour "Char d’assaut", second spectacle de Simon Thomas, créé au Théâtre Varia en février dernier: sur un mode beckettien, Tristan et Marceline arpentent l’espace scénique laissé à nu en tirant sur le fil de leur impuissance humaine. Poétique, efficace, inventif et jubilatoire!
Aliénor Debrocq


Char d'assaut: Dans cette pièce décadente et pleine de fraîcheur, nos deux héros venus des temps modernes parlent de la mort d’une manière importante et surtout, touchante.
Les premiers éléments au début du spectacle nous interpellent fortement : des rires enregistrés à l’ambiance Hélène et les Garçons, et une salle allumée grâce à deux grands néons suspendus en hauteur. Et débarquent alors, par la grande porte du fond, Tristan et Marceline. Elle avec sa grande cape pailletée, lui avec sa combinaison de cycliste. Avec pour décor, un espace vide et pourtant, qui fourmille tant de combinaisons possibles pour rendre Char d’Assaut vivant. Et c’est là que l’histoire commence, par une promenade autour du public, en traversant les portes.
La dernière création de Simon Thomas et de sa compagnie La Horde Furtive est un moment partagé entre la gravité de la situation et le rire. Parler de la vie et de la mort au théâtre n’est pas chose simple. Encore moins lorsqu’il s’agit d’inclure des éléments d’humour dedans, avec des variations sur le même ton. Pourtant, l’exercice qui peut être périlleux de base, s’annonce finalement comme une battle entre nos deux héros. Où se mélange tarte au citron au fin fond d’une salle et animal mort. Si, si, on vous le jure. Les deux acteurs portant la pièce au bout de leurs bras - Stéphanie Goemaere et Aurélien Dubreuil-Lachaud - réussissent à évoquer un sujet compliqué sous fond de jeu beckettien.
Un tas de références culturelles s’entremêlent durant l’acheminement de la pièce, qui en une heure, passe comme une lettre à la Poste : nous y notons notamment, au niveau de l’humour, des sketchs des Robins des Bois au podcast célèbre de Sophie Marie Larrouy, "A Bientôt de te Revoir" - qui reçoit des personnalités pour des conservations au parfum hilarant avec une pointe d’absurdité. Nous n’en dévoilerons pas davantage pour vous faire une propre idée, mais cela en vaut clairement la chandelle.
Nous nous fondons direct dans la pièce, dû à son accessibilité et à sa durée tous deux idéales. Ayant un rythme soutenu et sans temps mort, peu de place à l’ennui finalement. Ce qui n’est pas plus mal, puisque cette pièce est à aller voir absolument, même si vous n’êtes pas un-e féru-e de théâtre.
Marion Hermet

Char d’assaut: Véhicule blindé (d’absurdité)
Le Soir 28 fév. 2019

Mélange entre Beckett et les Monty Pythons, « Char d’assaut » mène une offensive plus surréaliste que militaire. Du sens de la vie comme chair à canon. Jusqu’au 2 mars au Théâtre Varia (Ixelles). Du 17 au 19 mars à la Maison Folie (Mons). Du 20 au 24 mars au Théâtre de Liège.
Non, Beckett n’est pas mort. Il s’est même réincarné en la personne de Simon Thomas, jeune metteur en scène qui élève la condition humaine au rang de roue à hamsters. Ses personnages ne croupissent pas au fond d’un trou ou à l’abri d’une poubelle mais ils nagent tout autant dans le potage.
Beckett, Thomas, même combat : donner du sens à la vie ? Autant pisser dans un violon. [...]