Arsen & Fanfan

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“Est-ce que vous saviez que nous sommes coincés dans une petite poche de l’Univers dont nous ne sortirons jamais ? Que même avec la technologie la plus futuriste, voire de science-fiction, nous ne sortirons jamais de cette bulle d’Univers ?
Je ne sais pas vous, mais je me suis toujours dit que l’Univers était infini et que nous étions connectés à cet infini d’une certaine manière parce qu’on irait toujours plus loin ou en tout cas qu’on en avait la possibilité.
Je ne l’avais pas identifié avant d’y réfléchir, mais je pense qu’il y avait pour moi quelque chose de réconfortant à me dire : on va tous mourir, je vais mourir, mais l’Humanité et l’Univers sont potentiellement immortels et infinis. Or les étoiles meurent plus qu’elles ne naissent et nous vivons dans une parcelle de l’Univers déterminée, finie, avec un certain nombre d’étoiles.”
issu du texte du spectacle
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Arsen & Fanfan / avis de Martine Wijckaert

Dans une architecture scénique à la David Hockney, Simon Thomas nous offre - car c’est un vrai cadeau - un voyage intersidéral dans les galaxies de la pensée, aux teintes de la joyeuse Mélancolie.
Ancré dans une multitudes d’univers, Simon est cependant ici au plus proche de l’humain, l’humain véritable avec sa complexe fragilité, sa conscience de l’incomplétude éternelle à laquelle il est voué et dans laquelle il se débat (et se bat) au moyen d’un imaginaire où les fausses questions et les vraies gourmandises ou défis se côtoient.
C’est qu’il y a beaucoup d’amour là-dedans, beaucoup aussi d’innocences non fardées. L’amour chez Simon, c’est (aussi) le Théâtre et dans lequel il fonde tous ses espoirs pour que triomphe enfin l’authentique gratuité, condition indispensable à l’émergence de l’art. Et de l’art, ma foi, il nous en gave, sans forfanterie, dans la simplicité d’un jeu d’enfant, dans la douceur que l’on sent tissée par lui avec ses acteurs. Simon a un regard de gamin, aussi sérieux et hanté que potache mais avec grâce.
Simon n’est jamais où on l’attend, mais s’y rend avec la talentueuse certitude de nous cerner dans un monde qui s’étale aux confins de la scène et au-delà, là où les pièges de l’illusion sont béants et la surprise radieuse ; nous sommes alors comme des pèlerins, accrochés au fil rouge (sinon électrique) de sa pensée qui disjoncte, fait des courts-circuits, rend visible ce qui ne l’est pas, possible ce qui
est impossible. Au verso de la carte des savoirs avérés, il y a un autre territoire, tout aussi rigoureux, une géographie surprenante, absurde mais toujours magnifique et d’une exceptionnelle poésie. Car Simon Thomas est fort probablement un poète mais, comme il ne le sait pas, il n’en est que davantage,
sa poésie respire la vie en perpétuelle découverte.
Dans une époque où prétention, narcissisme et morale contraignante se disputent le bout de gras, voici donc une belle étoile filante qui nous éclaire le cœur et la cervelle, multiplie les êtres comme Jésus les petits pains. Et de cette diffraction perpétuelle, c’est avec La Danse d’Henri Matisse que nous avons
rendez-vous, ensuite, enfin, avec la magie du geste suspendu, comme en peinture.

Article dans Le Soir / J-M Wynants

C’est un univers étrange où deux jeunes gens discutent et rigolent tranquillement tandis que le public s’installe. Le vaste podium d’un blanc cotonneux est cerné, sur deux côtés, par des éléments géométriques de couleur orange et, au sol, par une sorte de tapis réfléchissant qui crée une impression de vertige, de flottement dans un univers infini.

Le plus étrange reste toutefois le fait que ces deux personnages sont chacun raccordés à une prise électrique. On oublie toutefois ce détail lorsqu’ils se mettent à établir le classement des meilleurs desserts ou pâtisseries : Tiramisu spéculoos, tarte au citron, etc. Si Fanfan semble sûre des quatre premiers, elle a bien du mal à se décider pour le cinquième. Ses hésitations et les interventions naïves de son complice, Arsen, suscitent déjà les rires du public. Jusqu’au moment où, s’avançant un peu trop, la jeune femme arrache sans le vouloir son câble électrique… Premier drame qui va susciter les réactions aussi hilarantes que désespérées de son comparse.

Des interrogations vertigineuses

Dès ces premières minutes, Arsen (Jules Churin) et Fanfan (Héloïse Jadoul) installent leur univers. Un monde absurde que le mot, le geste, l’espace, la lumière, le son, la danse, la magie nouvelle, les costumes et les innombrables références contribuent à créer. Un monde absurde qui ressemble terriblement au nôtre, dans toute sa complexité. Et cela ne fait que commencer. Le spectacle avance peu à peu, par petites séquences évoquant avec énormément d’humour la destinée humaine (comment se débrancher ensemble), les inégalités (oui, la taille du câble a de l’importance), les mystères de l’au-delà et de l’infini…

Sortant d’un côté du plateau dans leur tenue basique, ils réapparaissent de l’autre dans des costumes évoquant autant l’Égypte ancienne que la science-fiction, avec lesquels ils ont bien du mal à se déplacer. Et les voici qui se lancent dans une joute philosophique sur le passé et le futur. Arsen connaît tout du futur et rien ne peut le surprendre pas même les attaques façon kung-fu de sa partenaire. Celle-ci porte, de son côté, le poids du passé de toute l’humanité, ayant vu mais aussi vécu ce que chaque être humain a vécu depuis la nuit des temps. La discussion s’enflamme sur la destinée humaine, l’importance du souvenir, la possibilité de changer le futur et autres grandes questions philosophiques que le duo pimente de multiples petites touches humoristiques faites d’un regard, d’un geste, d’un mot inattendu… « Pourquoi l’inexistence n’aurait-elle pas autant de valeur que l’existence » finissent-ils par se demander, nous entraînant mine de rien dans des interrogations vertigineuses.

Rafael Nadal et les Polyphonies corses

La force du spectacle est tout entière dans cette apparente contradiction : d’un côté des interrogations profondes, complexes, angoissantes parfois, et de l’autre, une manière de les amener et de les traiter qui suscite la réflexion par le rire et le côté absurde des situations dans lesquelles le duo nous entraîne. Et c’est loin d’être fini puisque, sans trop dévoiler la suite du spectacle, on peut révéler qu’il y sera question de notre rapport à l’univers, de la lumière des étoiles mortes, de notre propre finitude ou encore du mystère des trous noirs. Le tout à travers une partie de tennis reprenant tous les tics d’un Rafael Nadal, l’apparition de nouveaux personnages semblant se cloner les uns les autres, une promenade dans l’univers en expansion, une petite chorégraphie sautillante, une traduction en direct d’un langage venu d’ailleurs ou encore une réjouissante évocation des Polyphonies corses au bord d’un trou noir…

Sans aucun des tics des spectacles censément drôles, Arsen et Fanfan est un pur moment de plaisir, d’absurde, de poésie, de philosophie où l’humour naît du comique de répétition, de petits gags infimes parfaitement maîtrisés et des innombrables décalages entre les thèmes abordés et la manière dont ils sont explorés.

Jean-Marie Wynants

 

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Une création de La Horde Furtive
Initiée par : Simon Thomas.
Avec : Jules Churin et Héloïse Jadoul.
Conçue avec et par : Jules Churin, Élise Di Pierro, Aurélien Dubreuil-Lachaud, Héloïse Jadoul, Antonin Jenny, Manon Joannotéguy, Pedro Miguel Silva, Bertrand Nodet, Lionel Ueberschlag et Guerric Verougstraete.
Mise en scène : Simon Thomas.
Assistanat à la mise en scène : Mégane Kergoat.
Script doctoring : Django Schrevens.
Collaboration artistique et accompagnement : Héloïse Jadoul.
Son : Guerric Verougstraete (avec une musique de Jules Churin dans la scène dite du "bug").
Visuels : Bertrand Nodet (premières réflexions avec Justine Bougerol).
Création magie : Pedro Miguel Silva, avec l'aide de Lionel Ueberschlag.
Lumière : Lionel Ueberschlag.
Chorégraphie : Fanny Brouyaux.
Construction décors : Ateliers du Théâtre de Liège.
Réalisation costumes : Ateliers du Théâtre de Liège.
Diffusion : Anne-Sophie Boulan.
Production : Théâtre de Liège, DCJ Création.
Coproduction : Cie La Horde Furtive, Mars - Mons Arts de la scène, Théâtre National Wallonie-Bruxelles.
Soutien : La Cie MAPS - résidence enfants admis.
Aide : Fédération Wallonie-Bruxelles, CNES de Villeneuve lez Avignon, Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, Inver Tax Shelter, en partenariat avec le Centre des Arts scéniques.


 

 

Dates passées:
Du 9 mars au 15 mars 2025 au Théâtre de Liège
18 au 20 mars 2025 au MARS - Mons Arts de la Scène
9 au 19 avril 2025 au Théâtre National Wallonie-Bruxelles
agenda

Pas de prochaines dates pour le moment.

Surprise :

Un jour, un moine sortit pour faire une promenade.

Il passa près d’un arbre où chantait un oiseau

Le chant était si beau qu’il s’y arrêta

Pour un instant

À son retour, il ne reconnut pas ses frères

Cent ans s’étaient écoulés depuis son départ

Ainsi se confondent instant et éternité

Et si l’éternité peut se loger

Entre deux battements de cœur,

Alors l’au-delà n’est qu’un instant

De même ne fût qu’un instant

Tout ce qui arriva avant nous.

Tulipe de Sophie Guerrive